| LES ANNÉES D’EXIL À GENÈVE1933 – 1941
 [5]
 par Torsten Quidde Ludwig Quidde n’avait pas pu préparer
sa fuite d’Allemagne, de sorte qu’il n’avait pas choisi le lieu de son refuge.
Il est certain que Paris aurait pu être pris en considération, car le comte Harry
Kessler, Hellmut von Gerlach et Arnold Freymuth s’y étaient déjà repliés, ou
alors Prague qui avait accueilli un grand nombre de pacifistes persécutés. Pourtant, Quidde se décida pour Genève, siège de la 
Société des Nations, qu’il connaissait bien grâce aux multiples séances du 
Bureau international de la paix (BIP) auxquelles il avait participé durant de 
longues années, en tant que vice-président. Son engagement pour les conférences 
balkaniques, dont l’organisation était assurée par le BIP, et ses liens 
d’amitié avec Henri Golay, son directeur, le firent opter pour Genève. Ce choix 
fut aussi déterminé par le fait que le professeur Hans Wehberg y enseignait le 
droit international public à l’Institut universitaire de hautes études 
internationales ; il était aussi l’éditeur de la 
Friedens-Warte , le seul organe indépendant qui 
restât aux pacifistes germanophones après 1933. Appartenant à l’aile 
modérée du pacifisme, Hans Wehberg et Ludwig Quidde partageaient depuis 
longtemps des vues communes sur le plan national et international. 1. Difficultés 
matérielles Néanmoins, le début de la vie d’exil à Genève fut marqué 
par de grandes difficultés pour Quidde qui était alors âgé de septante-cinq ans. 
Il était pratiquement sans le sou. Son espoir de surnager grâce aux honoraires 
d’articles pour la presse allait bientôt s’avérer irréaliste. On lui procura un 
poste de lecteur qui ne lui assurait qu’un tout petit revenu, tout à fait 
insuffisant pour survivre, de sorte que ses amis durent l’aider 
financièrement. [6] Après avoir vécu quelque temps dans une pension, 
il habita à Champel dans des conditions austères. Puis il changea plusieurs fois 
de domicile, avant de pouvoir enfin disposer – à partir de juillet 1938 – d’un 
petit et modeste appartement à l’avenue Blanc. Qu’il ait pu rester serein et 
résigné en dépit de cruelles privations, tout en assumant la “grandeur de son 
humanité”, n’allait pas forcément de soi. [7] Ce qu’il ressentit alors, il 
le confia à sa femme, quelques années plus tard, le 27 mars 1940 : Je puis tout de même avouer que durant les premières 
années, j’ai dû affronter de telles difficultés que tu aurais pu penser qu’elles 
étaient insurmontables. Je n’en ai pas beaucoup parlé, mais je me suis dit que 
d’une manière ou d’une autre, ça devrait aller. [8]  Quidde dut éprouver comme un bienfait particulier que le 
Comité Nobel norvégien lui alloue une subvention mensuelle de deux cents francs. 
Il devait cette aide au secrétaire général de la Fondation Nobel, le 
professeur Fritz Lang, auquel le liait une amitié née à l’époque des multiples 
rencontres internationales. Ce soutien lui indiqua en même temps la voie à 
suivre pour ses travaux futurs. C’est ainsi qu’il entreprit, avec autant de joie 
que de persévérance, des préparatifs d’envergure pour une œuvre majeure : Pazifismus im Weltkrieg 
1914-1918 . 2. Comité de secours aux 
pacifistes exilés Le travail fut le compagnon fidèle de Quidde, durant son 
exil. D’une part, il reprit ses activités courantes, interrompues à cause de sa 
fuite, telle que la rédaction d’articles. D’autre part, il assuma des tâches 
nouvelles, par exemple la recherche éprouvante des amis pacifistes ayant dû fuir 
comme lui à l’étranger pour échapper aux nazis. Cet engagement lui procura des 
occupations stimulantes. Parallèlement, les pacifistes disséminés en raison des 
événements recherchaient le contact avec Ludwig Quidde, qui leur offrait un 
foyer intellectuel et des conseils, face à des situations individuelles 
désespérées. L’exilé genevois constata que, contrairement aux personnes victimes 
de racisme ou de leurs opinions politiques qui pouvaient compter presque partout 
sur l’appui d’organisations générales d’entraide et d’organisations spécifiques, 
les “réfugiés pacifistes ne bénéficiaient pas de tels soutiens”. [9] 
 A part des aides ponctuelles apportées à quelques-uns 
d’entre eux, “la misère de nos combattants est indescriptible. Certains doivent 
endurer la faim”, déplorait-il. A la misère matérielle s’ajoutaient le 
déracinement et l’impossibilité de se trouver de nouveaux repères. C’est ainsi 
qu’il fut atterré par plusieurs suicides : son 
ami Arnold Freymuth et sa femme qui avaient fui à Paris, des combattants pour la 
paix tels que Dora Fabian et Mathilde Wurm, le pacifiste Karl Ludwig Krause, qui 
s’était réfugié en Suisse. Il eut beaucoup à faire pour répondre à des lettres 
pathétiques et pour rechercher des aides pratiques, par exemple en matière de 
passeports. Très vite après avoir lui-même arrangé tant bien que mal ses propres 
conditions de vie, il conçut un Fonds de secours 
alimenté grâce à un appel financier universel lancé pour soulager la misère 
toujours pressante des pacifistes exilés. Il fut finalement possible de créer ce 
fonds, en 1935, géré par un comité d’entraide de six membres et d’accompagner sa 
fondation d’un appel financier international. Mais, dans son rapport intitulé « 
Hilfe für Friedenskämpfer », [10] Quidde dut concéder que le 
total des dons n’atteignait pas 2000.– francs et que l’écho n’était guère 
encourageant. Le résultat d’un “voyage de mendiant” durant l’été 1937 en 
Angleterre fut carrément déprimant. La demande qu’adressa Quidde au Comité Nobel, à Oslo, 
afin d’obtenir l’attribution du prix Nobel de la paix au Comité de secours aux 
pacifistes exilés peut être considérée comme un acte de désespoir. [11] 
Son souhait que le Fonds de secours soit sauvé par l’attribution d’une telle 
distinction fut déçu. Néanmoins, les dons versés au Fonds de secours 
contribuèrent à soutenir quelques-uns de ses amis pacifistes qui se trouvaient 
dans un complet dénuement ; ils leur ont 
donné le sentiment de ne pas être abandonnés, ce qui était peut-être aussi 
important. En effet, leur désarroi aboutit trop souvent, pour les plus âgés 
d’entre eux, à une issue fatale. Quidde ne prélevait rien à des fins personnelles sur ce 
Fonds de secours. Tout au contraire ! Lorsqu’il 
reçut pour son quatre-vingtième anniversaire une importante somme à titre de don 
d’honneur de ses amis et admirateurs, il en mit spontanément la moitié à la 
disposition des pacifistes en exil. Il écrivit à sa femme : Il serait moralement impossible de ne pas offrir quelque 
chose au Comité. Si tu devais être d’un avis contraire, c’est que tu ne te 
rendrais pas vraiment compte de la misère de beaucoup de nos compatriotes à 
l’étranger. [12]  Il s’intéressait tout particulièrement à un groupe 
d’environ trente pacifistes, qui avaient trouvé refuge à Prague et qu’il 
désignait lui-même comme étant ses “protégés praguois”. [13] 
Gerhart Seger en faisait partie ; après un 
temps de souffrances insupportables au camp de concentration d’Oranienburg, il 
avait réussi à fuir. Kurt Hiller, le fondateur du « Gruppe Revolutionärer Pazifisten », une aile radicale de la Société allemande de la 
paix, avait aussi enduré de terribles souffrances, de même que Vittorio 
Mungioli, le propre neveu de Ludwig Quidde. Après l’Anschluss de l’Autriche en 1938, le séjour en 
Tchécoslovaquie devint de plus en plus dangereux. Quidde vit quelques 
possibilités, à partir de Genève, d’aider ceux qui étaient une nouvelle fois aux 
abois. Il arrangea leur départ vers d’autres pays : l’Angleterre, les Amériques. Il engageait son nom et 
ses multiples relations pour négocier leur émigration dans ces pays d’accueil. 
Il eut plus d’une fois la satisfaction de voir ses démarches aboutir. [14] 
Mais il n’avait pas l’habitude de s’en vanter. La lettre qu’il reçut d’un protégé praguois lui aura sans 
doute fait chaud au cœur, lui qui souffrait aussi de l’exil. Il reproduisit 
cette lettre dans un message à sa femme, le 21 décembre 1938 : Mais vous, vous ne cessez de vous soucier des autres. 
Vouloir vous remercier pour un tel dévouement me semble trop vain ; mieux vaut se taire en demeurant plein d’admiration 
et de considération. De mon côté, je ne pense pas avoir reculé devant le travail 
ni refusé les efforts, mais rien ne pouvait mieux contribuer au succès de mes 
démarches et avoir plus de valeur que la référence à votre nom vénéré. Vous 
savez que, durant la Guerre mondiale, à la Chambre des communes à Londres, on 
demanda au lord de l’Amirauté en quoi consistait la valeur de la flotte 
anglaise, qui restait inactive, à quai. Celui-ci répondit alors : “In being !” 
(c’est-à-dire par le seul fait d’exister). Eh bien, cela vaut pour vous. 
Acceptez que votre nom cautionne la démarche, et vous en avez assez fait. 
Entourez-vous de forces qui combattent selon votre esprit et qui suivent votre 
propre direction. Ainsi tout sera bien. Mais ménagez-vous, afin que nous 
puissions longtemps encore parler en votre nom. 3. Carl von Ossietzky et 
Fritz Küster C’est dans ce contexte qu’il faut voir l’engagement de 
Quidde en faveur du journaliste Carl von Ossietzky, emprisonné et torturé par 
les nazis dans un camp de concentration. Des personnalités de renom, surtout des 
émigrés allemands, avaient pris l’initiative, en 1935, de suggérer que soit 
attribué le prix Nobel de la paix à cet homme courageux, rédacteur en chef de la 
revue Weltbühne et surtout profondément imprégné par 
l’idée de la paix. Cette initiative était liée, entre autres, aux noms de Thomas 
Mann, d’Albert Einstein et de la Britannique Jane Addams, prix Nobel de la paix. 
Elle fut coordonnée à Paris par Hellmut von Gerlach. [15]  Quidde prit lui-même l’initiative de suggérer Carl von 
Ossietzky lors du Congrès de la paix de Lugano, en 1935. En tant que prix Nobel 
lui-même, il était en droit de faire des propositions ; il formula donc cette suggestion en bonne et due 
forme. Mais il eut plus tard des doutes quant à la justesse de cette idée. [16]  Conjointement à la candidature d’Ossietzky, il demanda 
alors qu’on décerne la même distinction à Fritz Küster, combattant pour la paix, 
détenu dans un camp de concentration, son grandissime rival à la Société 
allemande de la paix. D’une part, il témoignait ainsi de sa largesse d’esprit et 
de sa grande humanité ; d’autre part, il manifestait par cette double 
proposition qu’il n’était pas sans réserve face à la candidature de Carl von 
Ossietsky, avec lequel il avait travaillé un certain temps lorsque ce dernier 
était secrétaire de la SAP en 1919. Une année plus tard, Carl von Ossietzky 
avait déjà démissionné de cette fonction, peut-être parce que ce journaliste 
entier et très motivé ne se satisfaisait pas d’une activité de secrétaire, 
occupation qui ne mettait pas en valeur toutes ses compétences. A cette époque, 
Quidde avait écrit à sa femme pour lui faire part de son mécontentement 
vis-à-vis d’Ossietzky, parce que ce dernier n’aurait pas publié certains numéros 
de leur périodique, dans les délais impartis. [17]  Jeune et dynamique, Ossietzky trouvait que la ligne de la 
Société de la paix était trop timorée, en particulier il réprouvait son 
“abstinence politique”. [18] Il ne pouvait s’identifier 
à ce cours trop modéré, et, très tôt, il affirma son appartenance à l’aile 
radicale du mouvement pacifiste, ce qui altéra la collaboration entre le 
président et son secrétaire. Néanmoins, Ossietzky était toujours resté fidèle à 
la cause de la paix, surtout dans son combat contre le réarmement clandestin. 
S’il y eut des blessures entre eux, elles s’étaient cicatrisées depuis 
longtemps. La magnanimité dont Quidde fit preuve à l’égard d’un 
adversaire beaucoup plus virulent, Fritz Küster, apporte la preuve qu’il ne 
conservait aucun ressentiment envers Ossietzky. Les doutes qu’il manifesta à 
l’égard d’une attribution du prix Nobel de la paix provenaient de sa crainte que 
l’on puisse prendre cela pour un geste politique contre le régime 
national-socialiste, prise de position qu’on ne pouvait attendre de la part du 
Comité Nobel. Quidde estimait qu’une telle attribution à Ossietzky pouvait lui 
nuire plus que l’aider. Afin de lui éviter les tourments d’un camp de 
concentration, mieux valait susciter une intervention internationale en 
passant, par exemple, par le truchement du gouvernement britannique. [19] 
A ses yeux, une telle démarche pourrait être plus efficace, mais il n’alla 
pas si loin et ne retira pas sa proposition. Il applaudit finalement lorsque le 
prix Nobel de la paix fut décerné à Carl von Ossietzky en 1937. Hélas, cette 
distinction n’allégea nullement son sort. Les craintes de Quidde étaient fondées 
! 4. Genève, la vie au quotidien Du point de vue de sa santé, Quidde avait étonnamment 
bien surmonté les changements fondamentaux de ses conditions 
d’existence, les soucis qu’il se faisait pour sa femme Margarethe restée à 
Munich, et finalement le combat quotidien pour sa propre survie. C’est ainsi 
que, le 12 novembre 1937, il put rassurer sa femme. Son médecin venait de lui 
dire qu’il “pourrait rester longtemps encore actif”, [20] à moins que 
sa vessie ne lui joue un mauvais tour. Il ajoutait : “Je pense que je finirai probablement un jour sous 
une voiture”. En effet, il aimait se promener. Il ne s’accordait qu’une sorte de 
récréation à sa journée de travail , en marchant dans les parcs ou le long des 
rives du lac pour profiter du “beau paysage” et respirer le “bon air suisse”. Il 
organisait toujours ses sorties de telle façon qu’il puisse atteindre la poste 
la plus proche avant la dernière levée. Au début de ses années d’exil à Genève, il ne recevait 
que de rares visites. Sa femme, à laquelle on avait retiré son passeport, ne 
pouvait venir le rejoindre. Ses amis, disséminés dans divers pays, étaient trop 
occupés par leurs propres problèmes de survie pour être en mesure de se rendre à 
Genève, sans parler du fait qu’ils n’en avaient tout simplement pas les moyens. 
Seule Hélène Stöcker, son ancienne “compagne d’armes”, lui rendit visite par 
deux fois. Son neveu, Vittorio Mungioli, est aussi venu le voir ; il se fit photographier avec lui sur les bords du 
lac de Genève. Quidde vivait très retiré, s’adonnant entièrement à ses travaux 
sur une modeste table dans une chambre sinistre. Pourtant, son ami Hans Wehberg lui offrait parfois une 
excursion dans les montagnes environnantes, même jusqu’au Mont-Blanc. Il venait 
le chercher en voiture, ce que Quidde n’appréciait pas tellement, comme 
l’indique une lettre à sa femme : Ces visites, je les apprécie ; cependant ce plaisir n’est pas complet car j’ai 
toujours peur de la voiture. On ne dépend pas seulement des précautions et de 
l’expérience du conducteur, mais aussi de l’inconscience et des étourderies 
des autres. [21]  Mais ces sorties semblaient tout de même lui convenir, 
car Wehberg roulait à 40 km/h, et ne dépassait pas les 60 km/h sur les routes 
rectilignes et bien dégagées. [22]  Cet investissement automobile valait la peine, car au 
terme il y avait toujours une marche d’environ une demi-heure à la 
montagne, qui lui offrait les panoramas impressionnants des Alpes. Wehberg, 
son cadet de dix-sept ans, admirait la condition physique de son ami. 
Celui-ci avait vécu récemment une aventure au Salève où il avait été bloqué 
durant une nuit entière sans dommage pour sa santé, avant de regagner la 
plaine. Ces excursions ont évidemment été l’occasion d’intenses discussions. [23]  Hans Wehberg continuait à éditer avec passion Die Friedens-Warte . Il a certainement consulté Quidde, 
rédacteur avisé et auteur d’articles pour cette revue. Quidde, quant à lui, 
travaillait constamment sous la pression des délais et terminait bien souvent 
ses travaux à la toute dernière minute, de sorte qu’il était parfois bousculé et 
pressé par Wehberg, ce qui avait pour effet de l’agacer. Il écrivait d’ailleurs 
à sa femme : Wehberg a une fâcheuse tendance à me critiquer ; par exemple, je viens de renvoyer à demain un 
rendez-vous que j’avais aujourd’hui avec lui, car j’ai besoin de tout mon temps 
pour le travail que je dois livrer. Lui, au téléphone : “C’est épouvantable, vous remettez tout au dernier 
moment et vous n’arrivez jamais à être prêt à temps”. [24]  Quidde surnommait Wehberg “mon commissaire à la 
prudence”. [25] Mais cela ne nuisait en rien à leur amitié 
fondée sur des affinités et des intérêts communs. Quidde était d’ailleurs 
redevable de bon nombre d’invitations au domicile de Wehberg, au bord du 
lac. “Voyager était le seul luxe que se permettait Quidde”, [26] 
notait Wehberg. Il participait à des congrès et des séances de comité, en 
France, en Belgique et en Angleterre. Il menait des recherches historiques à 
Vienne. Il rendait visite à des parents, en Italie. En outre, il s’impliqua 
davantage aux congrès internationaux de la paix : 
Locarno (1934), Cardiff (1936), Paris (1937), Lucerne (1938) et Zurich (1939). [27]  5. Lettres à Margarethe 
Quidde Les nombreuses lettres que Quidde envoya à son épouse 
durant les premières années de son exil genevois ne nous sont pas parvenues, pas 
davantage que celles qu’elle lui écrivit. La rare correspondance qui a été 
conservée ne donne que peu d’informations quant au moral du “nouveau 
citoyen genevois”. Il n’était pas dans la nature de cet épistolier réservé 
d’Allemagne du Nord d’être prolixe sur ses sentiments intimes. Lors des 
premières années de son mariage, Quidde écrivait à sa femme : Après les expériences faites la dernière fois avec notre 
correspondance, le fait de parler de nos sentiments ne peut que nous 
conduire à nous bercer d’illusions. Mieux vaut nous en tenir à des sujets 
purement factuels. [28]  Si cette volonté de concision avait un rapport avec un 
conflit du couple, elle eut des répercussions pendant des années. C’était le 
style de Quidde de ne pas vouloir infliger ses soucis à sa femme, restée seule 
en Allemagne. En outre, il tenait compte du fait que sa correspondance, avant 
qu’elle n’atteigne sa femme, serait contrôlée par la Gestapo, ce qui le 
rendait prudent. Non sans raison. Il avait d’ailleurs commencé à numéroter ses 
lettres. [29]  Celles-ci mentionnent d’une façon très précise comment, 
aux yeux de Ludwig, la détresse matérielle dans laquelle se trouvait son épouse 
à Munich pourrait être améliorée. Il faisait de nombreuses suggestions, par 
exemple de vendre une commode de grand prix ou une partie de la volumineuse 
bibliothèque. [30] Il envisageait également de réaliser un 
violoncelle, ainsi qu’un violon précieux (un Stradivarius ?) pour lequel il avait entamé des négociations lors 
d’un voyage à Rome. Il semblerait que Margarethe, qui avait alors largement 
dépassé les 70 ans, aurait accepté de donner des leçons de musique et de 
sous-louer une partie du grand appartement qu’elle habitait à Munich, à la 
Ohmstrasse. Depuis Genève, Ludwig n’était pas en mesure d’aider financièrement 
sa femme, en raison des grandes difficultés qu’il avait à surmonter pour 
assurer sa propre existence. Au vu de ces sombres perspectives, les plans qu’il 
communiquait à son épouse, à propos de leurs retrouvailles, paraissent 
aussi touchants qu’illusoires. Ils se retrouveraient à Saint-Gall où Margarethe 
pourrait se rendre, ou alors, éventuellement, il pourrait lui-même aller à 
Lindau. Il ajoutait que ce serait bon si elle pouvait venir à Genève à 
l’occasion de son 80 e anniversaire, le 23 mars 
1938. [31] Mais il ne pouvait ignorer qu’elle s’était vu 
retirer son passeport et que lui-même serait en danger de mort s’il se rendait à 
Lindau, en Allemagne. S’il avait vraiment été sérieux, il n’aurait jamais révélé 
un tel plan dans des lettres, sachant qu’elles étaient lues par la Gestapo. [32] De telles propositions étaient sans doute 
l’émanation d’un vœu pieux et le résultat de son désespoir face à une situation 
inextricable. Il ne parlait jamais de politique dans sa correspondance. C’est 
ainsi que, le 10 octobre 1938, il adressait à sa femme les reproches suivants 
: Je m’interdis toute allusion politique. Mais si tu me le 
conseilles, il ne faut pas que tu commences toi-même à en parler, surtout hors 
de propos. Ne nous induis donc pas ainsi en tentation ! [33]  Une telle réserve, à l’égard surtout du 
national-socialisme, avait sa raison. Quidde était en perpétuel souci à propos 
de son épouse, parce que les nazis pouvaient la persécuter à tout moment : elle était à demi-juive et la femme d’un ennemi en 
exil du régime. Il lui fallait donc impérativement éviter tout ce que les 
potentats nazis pouvaient lui reprocher. 6. Les “intentions 
pacifistes” d’Adolf Hitler Le 4 novembre 1933, le Berliner 
Tageblatt annonça : Lors d’un entretien avec un journaliste de la Pravda de Belgrade, le professeur Quidde, pacifiste 
allemand, a témoigné lui aussi de la volonté de paix d’Adolf Hitler et de tout 
le peuple allemand. […] parler de guerre 
aujourd’hui relève de la plus grande inconscience, voire de la folie, 
commenta Quidde, je suis persuadé qu’Hitler ne veut pas la guerre. Quidde a-t-il eu par là l’intention d’abandonner sa voie, 
de se maintenir en retrait politiquement et de se laisser entraîner dans le camp 
adverse ? Cette interview lui valut en tout cas 
de nombreuses critiques acerbes et les réactions furieuses de ses amis 
pacifistes. Son ami et militant de longue date, Hellmut von Gerlach, lui 
reprocha, le 22 novembre 1933, de faire ainsi le jeu de la propagande de Joseph 
Goebbels : Il est inconcevable pour moi que vous puissiez croire à 
la sincérité des assurances de paix de Hitler ; 
sauf s’il s’agit pour lui d’assurer la paix jusqu’au moment où il aura terminé 
son réarmement. [34]  L’exilé genevois eut beaucoup de peine à se justifier. Il 
rédigea une prise de position où il expliquait très clairement sa totale 
opposition au régime national-socialiste. [35] Il y 
qualifiait Hitler et ses acolytes de “bande de meurtriers dégénérés”, n’ayant 
aucun sens de l’honneur, connus pour leur disposition à la brutalité, 
poursuivant sans relâche des intellectuels, des juristes et des médecins juifs. 
En persécutant les juifs, le gouvernement nazi se mettait en opposition avec le 
monde entier, ce qui allait gravement influencer la politique étrangère de 
l’Allemagne. Depuis longtemps, la situation diplomatique de son pays 
n’avait pas été aussi catastrophique. Tout en craignant “l’incertitude et la 
nervosité qui résultent d’une mauvaise analyse de la politique étrangère et qui 
incitent à commettre des erreurs”, Quidde ne croyait cependant pas qu’il 
pourrait en résulter un sérieux danger pour la paix : En tout cas, il est exclu 
qu’Hitler s’engage sur la voie de la guerre, comme on le redoutait bien souvent 
en France, après le changement du gouvernement allemand. Il aurait fallu être 
complètement déséquilibré pour ne pas comprendre qu’une nouvelle guerre 
signifierait la ruine de l’Allemagne. Même un Ludendorff en était conscient et 
l’avait expressément affirmé […]. Dans le cas qui 
nous occupe, je n’attache pas beaucoup de valeur à la phraséologie selon 
laquelle les dictatures sont toujours un danger pour la paix, car le dictateur, 
dès qu’il n’arrive plus à maîtriser les difficultés à l’intérieur du pays, 
cherche à faire diversion en déclenchant une guerre. J’estime que le risque 
d’une guerre est trop grand pour chaque Allemand moralement responsable. En 
effet, une telle guerre signifierait, à 99 % de 
probabilité, la défaite et la ruine ; elle ne 
peut pas être une tentation, même pour un dictateur empêtré dans des soucis à 
l’intérieur de son pays. Dans un article intitulé « Abrüstung ! », [36] Quidde s’empressa de 
préciser qu’on pouvait avoir des doutes quant aux protestations de paix 
d’Hitler. C’est aux national-socialistes eux-mêmes d’apporter la preuve de 
leur sincérité. Considérant la situation actuelle, un danger de guerre ne 
pouvait pas émaner de l’Allemagne, parce que la France, armée jusqu’aux dents, 
était réputée imprenable. Hitler ne saurait faire confiance à son allié italien 
ou compter sur la neutralité de l’Angleterre. En cas de guerre, la Pologne 
envahirait la Prusse orientale ; les 
Tchèques et les Polonais se mettraient simultanément en marche en direction de 
Berlin. Il faut se représenter les conséquences inévitables d’une 
agression allemande contre la France. Parler de folie serait une expression très 
modérée pour qualifier l’état d’esprit d’un homme 
menant une telle politique. Même en tant qu’adversaire farouche d’Hitler, on ne 
peut vraiment pas l’en croire capable. A tout prendre, Quidde transformait d’une façon modérée 
son affirmation initiale selon laquelle le désir de paix d’Hitler était 
crédible. En effet, un danger de guerre ne pouvait émaner de l’Allemagne étant 
donné l’inégalité des forces militaires. Il ne s’agissait pas de parler de la 
volonté de paix d’Hitler, sujet embarrassant. Cette analyse était certes valable 
en 1933. On peut se demander pourquoi Quidde a pris position publiquement, de 
façon ambiguë, sur la question du danger de guerre que représentait 
l’Allemagne nationale-socialiste. D’autant plus que personne ne l’avait invité à 
s’exprimer sur cette question délicate. Il est possible que Quidde se soit risqué à parler de la 
volonté de paix d’Hitler parce qu’il se faisait beaucoup de souci pour sa femme, 
qui était en danger, seule à Munich. [37] 
 En réalité, ses déclarations ont trouvé un écho favorable 
auprès des nouveaux potentats allemands. [38] Quidde se 
livrait-il à de telles manœuvres ? Cette attitude 
ne correspond pas du tout à cet homme dont les opinions n’étaient jamais 
influencées et restaient libres vis-à-vis de “toute autorité supérieure”. Il est 
plutôt probable que Quidde, en tant que patriote, ait trouvé absolument 
insupportable que l’Allemagne soit considérée comme une menace pour la 
paix, comme l’étincelle qui mettrait le feu aux poudres. Très engagé dans les efforts de désarmement, à Genève, [39] 
Quidde voulait certainement atténuer la méfiance (surtout du 
côté français) vis-à-vis de l’Allemagne, méfiance qui pouvait être 
préjudiciable au succès des négociations. De ce point de vue, son action au 
service de la paix fut plutôt une tentative audacieuse qui a probablement été 
mal interprétée. 7. L’éviction d’un poste 
important En octobre 1933, l’Académie des sciences de Bavière 
signifia à Quidde, sans préavis, qu’il n’était plus chargé de diriger la 
publication des documents des diètes impériales datant de la fin du Moyen Age. 
Comme il avait consacré sa vie de savant à cette édition qui exigeait beaucoup 
de temps et d’efforts, à côté de son engagement politique et pacifiste, [40] Quidde a réagi avec violence face à cette 
destitution abrupte ; ce n’était pas dans ses 
habitudes mais nous pouvons le comprendre. Il écrivit au professeur von Müller 
: D’après les principes qui dominent dans l’Allemagne 
nationale-socialiste, je devais m’attendre à cela. Comme démocrate et 
pacifiste, je reste fidèle à mes convictions. De ce fait, je suis en 
opposition irréconciliable avec le parti au pouvoir. […] Je suis bien sûr peiné de devoir abandonner mon poste. 
Depuis 1881, cela fait 54 longues années, je collabore à cette entreprise que je 
dirige depuis 1889. J’en éprouve beaucoup de chagrin, car le sentiment et le 
devoir de piété envers mon maître Julius Weizsäcker (il m’avait confié à moi, 
son jeune disciple, la gestion de son héritage), m’avaient lié à cette tâche. De 
tout cœur, je vous remercie de m’avoir exprimé la reconnaissance de la 
commission pour mon travail pendant tant d’années. Je sais mieux que quiconque 
les carences de ce travail, celles qui m’incombent et celles qui ont été causées 
par des influences extérieures. En quittant ce poste, je suis conscient que je 
paie le prix pour ma fidélité à mes convictions, qui ne souffrent aucune 
ingérence extérieure. [41]  Sous la direction de Quidde, neuf volumes avaient été 
publiés, c’est-à-dire jusqu’au dix-septième. Il y avait pris une grande part, 
même si, bien sûr, ses collaborateurs l’avaient beaucoup aidé. Il avait la responsabilité d’examiner les documents, de 
définir la systématisation, d’organiser l’ensemble du travail. Son œuvre 
scientifique est imprégnée par cette édition. Il savait mieux que quiconque 
qu’une commission historique mise au diapason national-socialiste ne 
pouvait lui disputer ses mérites. 8. Le portrait peint par 
Joseph Beilin Pendant ces années, le destin lui avait asséné bien des 
coups qui avaient laissé des traces. Le portrait à l’huile peint par Joseph 
Beilin, un Russe exilé qui vivait en Suisse, le montre bien. Quidde écrivit à sa femme que “tout le monde trouve que 
ce tableau est d’une ressemblance extraordinaire”. [42] Cependant, 
le portrait donne pour le moins une interprétation subjective du combattant pour 
la paix, alors âgé de 80 ans. Le regard est remarquablement intense. Deux 
rides profondes, verticales, dégagent une impression d’énergie. Les yeux, qui 
vous regardent de façon directe et très concentrée, laissent deviner un sens 
profond du contact en même temps qu’une grande solitude. Lorsque cette œuvre fut réalisée, Quidde fit connaître sa 
vision de l’avenir et les perspectives du mouvement pacifiste, dans un 
article qui parut à Genève, le 7 décembre 1936. Il y faisait l’humble aveu 
que “personne ne pouvait prédire si l’humanité deviendrait plus raisonnable, en 
se souvenant de la guerre mondiale et de ses atrocités, ou s’il fallait une 
nouvelle catastrophe, encore plus terrible que toutes celles du passé. En 
effet, personne n’était capable de le prédire”. [43] Ces paroles 
ne manifestaient ni la confiance ni l’optimisme qui lui avaient donné de 
l’énergie pendant toute sa vie. En définitive, il se voyait contraint d’admettre que le 
destin décide de tout ; d’où l’aveu d’impuissance 
du mouvement pacifiste et, finalement, l’abandon par Quidde de sa foi 
inaltérable en la puissance de la raison. De là, sa peur d’être impuissant à 
éviter le malheur, lui, le combattant pour la paix, malgré tous ses efforts et 
tous ses sacrifices. Etaient-ce ces sentiments-là que le peintre Joseph Beilin a 
cherché à faire ressortir dans ce portrait ? Ou 
était-ce le poids de sa destinée, difficilement supportable, que trahissait son 
regard marqué par la souffrance ? Ayant reçu la photo du portrait, Margarethe Quidde 
n’apprécia pas du tout l’œuvre de Beilin. [44] A cette 
époque, elle avait d’autres problèmes, depuis qu’elle avait appris que son mari 
vivait à nouveau dans la lointaine Genève avec Charlotte Kleinschmidt, sa 
compagne d’autrefois, à Berlin. 9. Charlotte Kleinschmidt 
et la “pupille Lotti” Ludwig Quidde joignait à sa lettre du 26 décembre 1937 
quatre pages serrées, libellées “personnel”. Dans ces pages, il parlait 
affectueusement de “sa pupille Lotti”, en réalité sa propre fille, née en 1916 
de sa liaison avec Charlotte Kleinschmidt et qui porte le même prénom que sa 
mère. La “pupille Lotti”, ajoutait-il, s’était alors établie à Genève, après 
quelques années au pair en France. Elle prenait soin de lui de façon touchante 
et s’était fiancée au peintre Joseph Beilin. Finalement, il ajoutait tout à fait incidemment que “la 
mère de Lotti”, partie de Berlin et ayant passé à Copenhague, vivait 
maintenant à Genève, où elle travaillait comme gouvernante chez un délégué 
mexicain auprès de la Société des Nations. Pour Margarethe Quidde, il ne faisait à présent plus de 
doute que son mari avait repris la vie commune avec Charlotte Kleinschmidt et 
qu’il était heureux de la tournure des événements. Ce qui est le plus important, écrivait-il, c’est d’être 
avec elle et, à part tes lettres, c’est la seule chose qui apporte un peu de 
chaleur dans ma vie. Cela, j’en ai aussi besoin malgré ma nature de 
solitaire. En faisant ces révélations, Quidde était certainement 
conscient qu’il allait rouvrir de vieilles blessures. Il laissait percer dans 
ces confidences l’espoir que Margarethe saurait montrer de la compréhension 
pour la conduite de son mari, en exil, très seul, et dans le besoin. Son attente 
fut vaine, comme l’indiquent des lettres ultérieures de Ludwig Quidde, dans 
lesquelles il priait sa femme de ne pas “employer de vilaines expressions” 
vis-à-vis de Madame Kleinschmidt. [45] 
 Malgré ce conflit de conscience envers son épouse, il 
tenait – ce qui est compréhensible – à sa compagne des années berlinoises et à 
sa fille, la “pupille Lotti”. Au début de l’été 1938, il fit venir à Genève tout 
son mobilier de Berlin, grâce à un don d’argent que des amis lui avaient fait à 
l’occasion de son 80 e anniversaire. [46] 
Il s’installa alors dans un appartement de trois pièces à l’avenue Blanc n° 
8. Le mérite de Charlotte Kleinschmidt fut d’avoir arraché 
Ludwig Quidde à la solitude de son exil genevois, et de lui avoir apporté la 
chaleur familiale dont il avait un besoin urgent. Sa fille “Lotti” se chargeait 
de temps à autre de la transcription à la machine à écrire (qu’elle maîtrisait 
parfaitement) des manuscrits de son père. Elle ne possédait pas sa propre machine à écrire, mais 
avait la permission d’utiliser celle du Bureau international de la paix à 
Genève, pour ses travaux quotidiens. Elle consacrait beaucoup d’heures à la 
dactylographie des manuscrits que son père avait rédigés la veille. Il s’agit 
surtout de la volumineuse étude sur le pacifisme pendant la guerre mondiale de 
1914 à 1918. Parfois, la “nouvelle famille” faisait des excursions qui 
procuraient joie et délassement. 10. Le 80 e anniversaire Le 23 mars 1938, Quidde fêta son 80 e anniversaire. Des amis et des admirateurs du monde 
entier lui adressèrent des messages de félicitation. A cette occasion, il put se 
rendre compte à nouveau de quelle haute considération il jouissait, lui le 
Nestor du mouvement pacifiste, auprès de ses amis, et des liens d’affection qui 
les unissaient. Die Friedens-Warte consacra la 
seconde livraison de 1938 (que l’on peut qualifier de commémorative) à la vie et 
à l’œuvre de Ludwig Quidde. Hans Wehberg y évoqua la jeunesse du jubilaire. 
Walther Schücking décrivit “le compagnon d’armes” et le docteur B. De Jong van 
Beek en Donk fit revivre des souvenirs de La Haye, au début de la guerre 
mondiale. Quidde lui-même y contribua avec deux articles : « Meine letzte 
Begegnung mit Frédéric Passy » [47] 
et « Mein Abenteuer auf dem Salève ». [48] Une bibliographie 
exhaustive était jointe en annexe pour rappeler l’œuvre écrite du jubilaire. Dans l’éditorial, le professeur Hans Wehberg vantait les 
mérites de son ami. [49] Il soulignait sa fidélité absolue à la 
démocratie et à la paix, quoiqu’il puisse en advenir pour lui-même : C’est ainsi que Quidde nous apparaît comme une sorte de 
Parsifal qui a su rester fidèle à lui-même. Malgré des ambitions personnelles, 
il n’a jamais trahi ses idées pour récolter des succès. Bien plus que par la pureté de sa pensée et la constance 
de son caractère, Quidde avait pu jouer, selon Wehberg, un rôle important 
au sein du mouvement pacifiste allemand et international, grâce à la force de sa 
formation politique, à sa connaissance approfondie des relations historiques et 
à ses dons rhétoriques : […] en tant que grand 
orateur populaire qui avait pris la parole dans des milliers d’assemblées et qui 
avait été applaudi par des foules entières. Sa capacité de compromis et son sens aigu de 
l’organisation l’avaient rendu capable de diriger la Société allemande de la 
paix. Bertha von Suttner en 1909 et le prix Nobel de la paix Alfred Hermann 
Fried ont aussi souligné son engagement inébranlable pour la paix. Les déceptions ne lui ont pas été épargnées : la Première guerre mondiale, “les dures conditions 
de la paix de Versailles”, les attentes déçues des accords de Locarno (1925) et 
du pacte Briand-Kellogg (1928), finalement l’échec de la Société des 
Nations. Après tant de déceptions, on serait tenté de penser que 
Quidde, au soir de sa vie, allait être un homme fâché et aigri. Toutefois, le 
fait qu’il ait gardé sa bonté de cœur malgré tous ces malheurs prouve sa force 
d’âme. Personne ne l’a entendu, à Genève, se plaindre de son sort. Bien au 
contraire, il a attiré l’attention publique sur les souffrances des autres, avec 
l’espoir de leur venir en aide. Sa disponibilité à secourir les autres est 
notoire. De même, on apprécie sa bonne humeur. En décembre 1937, un comité spécial se constitua pour 
préparer une fête à l’occasion de son 80 e 
anniversaire. En faisaient notamment partie Hans Wehberg, Henri La 
Fontaine, président du Bureau international de la paix, le professeur Théodore 
Ruyssen, président de la Société des Nations. Ce comité aboutit à la conclusion qu’il serait judicieux 
que ses amis honorent Quidde en espèces. C’est ainsi que le professeur Ruyssen 
put remettre au jubilaire, à l’occasion d’un dîner de fête, le 23 mars 1938, la 
somme considérable de 4000 francs suisses comme cadeau d’anniversaire. Quelques jours plus tard, Quidde rapporta à sa femme : La fête fut tout à fait réussie. Plusieurs personnalités 
ont pris la parole : Ruyssen, qui m’a remis ce 
don d’honneur, Hélène Stöcker, au nom de l’organisation allemande, ainsi que 
Wehberg. […] Dans ma réponse, lorsque j’ai 
mentionné ton absence ce 23 mars, la voix me manquait. Il me fallut un bon 
moment avant de pouvoir me ressaisir. [50]  En même temps, il lui annonça qu’il avait remis une 
partie de ce don à la disposition du Comité de secours aux pacifistes exilés. [51]  11. Publications pendant les années d’exil Sa production littéraire et scientifique pendant l’exil à 
Genève resta volumineuse. D’une écriture assurée, il complétait page après page 
le manuscrit de son œuvre majeure : Der deutsche Pazifismus während des Weltkrieges 1914-1918 
.  Il accomplissait ce travail avec beaucoup d’application, 
de soin et de conscience professionnelle. En tant qu’historien, il avait 
l’ambition de mener cette étude de façon aussi objective que possible. Cependant, et il le déplorait, il devait renoncer à de 
nombreux documents, car son matériel avait été confisqué en Allemagne par la 
Gestapo. La rédaction ressemblait alors souvent à une reconstitution 
fastidieuse. Heureusement, les documents de l’ancien secrétaire de la Société 
allemande de la paix, Fritz Röttcher, lui rendirent de précieux services. 
Trente-cinq ans après sa mort, on a retrouvé cette ultime recherche historique, 
quasi achevée, dans sa succession à Genève. Elle a enfin été publiée en 1979, 
sous la forme d’un volume contenant quelque 400 pages imprimées. [52] 
 Dans ses dernières publications, Ludwig Quidde eut 
manifestement à cœur de rendre accessibles au public les positions 
fondamentales du pacifisme, tantôt nouvelles, tantôt renouvelées. Par exemple, 
dans son étude approfondie sur Vom Landfrieden zum 
Weltfrieden , [53] aucun autre thème ne l’a autant fasciné, en 
tant qu’historien et théoricien de la paix. Le fait que le droit de guerre entre 
Etats avait fait place au règne du droit appuyait sa conviction profonde qu’une 
telle victoire du droit sur la force devait être possible également dans les 
relations entre les Etats. Grâce à cet événement clé, Quidde avait légitimé la 
mission moderne de paix et l’avait fait sortir du domaine de l’utopie. [54]  Depuis son exil à Genève, il ressentait vivement le 
besoin de lancer ce message au monde entier, ainsi qu’à ses amis en détresse, 
avec une grande énergie et un engagement personnel. Ce n’est pas sans relation avec l’actualité d’alors que 
Quidde publia « Patriotismus und Pazifismus », un article riche d’idées. [55] En effet, 
les nazis lui reprochaient de façon massive et répétitive que le pacifisme ne se 
souciait pas de la patrie et que les pacifistes étaient des traîtres à la 
nation. Par le passé, il s’était déjà donné la peine de réfuter 
de telles diffamations, dans des articles où il n’épargnait pas non plus Joseph 
Goebbels. [56]  Il partait de l’hypothèse que le “vrai” patriote est 
démocrate et que le pacifisme n’est possible que dans une démocratie. Il 
répondait ainsi de façon cinglante à la provocation nationale-socialiste. De 
même, il dénonçait “un patriotisme erroné” qui prétendait imposer à l’autre de 
manière brutale (non démocratique) les intérêts de sa nation. Celui qui agit 
ainsi dans les relations internationales rend hommage à un faux patriotisme et 
constitue une menace, du fait de son “chauvinisme”. Le vrai patriote est celui qui défend les intérêts de son 
pays de façon responsable, en les mettant en relation avec ceux des autres. 
Seules ces règles démocratiques peuvent imposer de tels intérêts ou rendre ces 
derniers compatibles avec le droit. Le pacifiste contribue de cette façon 
déterminante à épargner au monde des guerres dont la force de destruction est 
incommensurable. A ce sujet, Quidde s’exprimait de façon énergique : [De nos jours,] il s’agit d’une guerre des machines et de 
moyens de destruction diaboliques que la technique moderne nous a fournis. 
Lâchés non seulement contre des troupes sur le champ de bataille mais aussi 
contre des populations paisibles, loin du front, sans distinction d’âge ni de 
sexe, ces moyens se déchaînent contre une économie devenue beaucoup plus 
vulnérable aux destructions causées par la guerre. Une nouvelle guerre mondiale apporterait une destruction 
totale, un anéantissement de la civilisation européenne qui perdrait alors son 
leadership mondial, un bouleversement de tous les pays aussi bien chez les 
vainqueurs que chez les vaincus. Eviter cela était le devoir patriotique suprême. Avec une 
concision provocante, Quidde concluait qu’“être patriote signifie être 
pacifiste”. [57]  Dans son article « Abrüstung ! », il dut reconnaître que la confiance réciproque 
des peuples – condition primordiale de tout désarmement – avait du plomb dans 
l’aile. [58] Il déplorait surtout l’état des relations 
franco-allemandes. Avec un optimisme certes modéré, il niait que le danger de 
guerre vienne du côté de l’Allemagne et voyait de réelles chances d’entente. En tout cas, il était concevable de réaliser tout d’abord 
quelques pas vers le désarmement, au lieu d’une convention globale sur le 
désarmement, telle que la suppression des armes offensives. De même il devait 
être possible d’inviter tous les gouvernements à contrôler l’état de leurs 
armements respectifs, réduits d’un tiers. Réaliser que l’équilibre des forces ne sera pas déplacé 
si le désarmement intervient simultanément et régulièrement facilitera des 
mesures de ce genre. Il faut du courage pour s’entendre, sinon le chemin vers le 
désarmement est impensable. Vu les horreurs des guerres modernes, on devrait pouvoir 
attendre des peuples qu’ils montrent un tel courage et qu’ils puissent passer 
aux actes. Les contributions ultérieures de Quidde à la 
problématique du désarmement ne montrent cependant plus cet optimisme. En effet, 
l’échec des conférences du désarmement organisées par la SdN et les efforts 
visibles de réarmement des Etats européens déçurent profondément Quidde, qui se 
résigna à reconnaître : La grande tâche du désarmement mondial s’est heurtée à la 
petitesse misérable du genre humain. On sera déjà bien content si on arrive à 
mettre un frein à la course au réarmement. [59]  Sa déception vis-à-vis de la Société des Nations était 
d’autant plus profonde que les attentes des pacifistes envers cette institution 
avaient été grandes. “Que peut-on espérer ?”, 
telle était la question si pertinente vu l’échec de la Conférence du 
désarmement, l’inactivité de la SdN face à la question de la Mandchourie, face à 
l’agression de l’Abyssinie par l’Italie, face à la guerre sino-japonaise. Quidde n’était pas du genre à se lamenter. Il préférait 
tirer les leçons des erreurs et apporter des propositions pour leur 
amélioration. C’est ainsi qu’il intitula « Grundzüge der Weltorganisation » un article qui avait pour objet de traiter de 
manière étendue la réforme de la SdN. [60]  Tout d’abord, si la faiblesse de cette institution 
provenait du fait qu’elle n’avait pas sanctionné, selon l’article 16 de ses 
statuts, ses membres “infidèles” (ceux qui faisaient la guerre), alors il 
fallait se demander si on n’attendait pas trop de la SdN, dans ce cas-là. Il est 
évident que “l’époque actuelle n’est pas encore mûre pour imposer la notion du 
droit dans le domaine international”. Tant qu’il en sera ainsi, il faudra 
renoncer honnêtement et militairement aux sanctions par la SdN et biffer 
l’engagement de l’article 16 de ses statuts. Par contre, il faudra développer 
davantage l’autorité morale de la communauté des peuples. Néanmoins, la SdN doit 
avoir l’obligation primordiale de tout faire pour le désarmement mondial. Pour 
cette raison, ses statuts doivent tracer les contours d’une convention de 
désarmement. Ensuite, une SdN sans l’Amérique n’a aucune valeur. De plus, les statuts doivent également garantir les 
droits de l’homme et du citoyen, y compris la protection des réfugiés 
politiques. Jusqu’à présent, la SdN n’était qu’une conférence de diplomates : à présent, elle doit donner plus de droits aux 
peuples. Par conséquent, il faut adjoindre à la “maison des Etats” une “maison 
des peuples”. Tout au moins, un représentant du peuple doit avoir sa place dans 
chaque représentation d’un pays. Enfin, Ludwig Quidde recommandait, depuis des années, que 
la SdN prenne ses décisions à la majorité, car le principe en vigueur de 
l’unanimité conduit facilement à une paralysie là où une action déterminée 
s’impose. « Schicksal und Aussichten 
der Friedensbewegung », [61] montre que 
l’avenir du mouvement pacifiste ne peut guère être jugé avec bienveillance, tant 
que les amis de la paix ne seront pas d’accord entre eux. “Face à un danger de guerre plus grand qu’il n’a jamais 
été depuis la fin de la guerre mondiale”, la seule consolation était qu’à la 
longue l’idée de paix devrait se faire un chemin “d’une manière ou d’une autre”. 
Quidde ne pouvait pas exprimer plus clairement son désarroi : “d’une manière ou d’une autre”, lui qui avait 
l’habitude de se battre, lui qui avait donné du courage au mouvement 
pacifiste, en proposant des issues dans les situations les plus difficiles. Il ne lui restait que l’espoir. C’est ainsi qu’il 
reconnut, le 15 février 1938, que “toutes les déceptions actuelles ne peuvent 
m’ôter ma foi dans la victoire finale des idées pour lesquelles je me bats”. [62]  Enfin, il importe de rappeler que Quidde devait 
interrompre de temps en temps son activité de publiciste, si vivant, pour se 
consacrer au devoir douloureux des nécrologies d’amis décédés. Le professeur Walther Schücking mourut en 1935. En lui, 
Quidde perdait un ami de longue date, plus qu’un simple compagnon de route. 
Spécialiste visionnaire du droit des peuples, Schücking était un des 
représentants les plus marquants du pacifisme institutionnel, un précurseur 
et promoteur de la SdN. [63]  Et que dire de Hellmut von Gerlach ! C’est une année plus tard que Quidde dut déplorer sa 
mort, survenue en exil à Paris. [64] Avec lui aussi, il perdait 
un de ses meilleurs amis qui s’était tenu à ses côtés pendant les moments 
difficiles à Berlin : un être d’une grande 
humanité et un politicien pur sang. Assurément, le mouvement pacifiste perdait beaucoup avec 
la mort de ces deux personnalités, de sorte que Quidde devait déplorer : “[…] nous tous avons 
été privés de quelque chose d’irremplaçable”. La solitude gagnait de plus en plus l’exilé genevois … 12. Début de la Seconde 
guerre mondiale “Selon la logique des faits, il doit y avoir la guerre, 
mais la psychologie parle pour la paix. Comme j’ai toujours prétendu que la 
psychologie est plus forte que la logique, je devrais être plein d’espoir”. Ces 
phrases tirées d’une lettre à Margarethe juste avant le début de la Seconde 
guerre mondiale manifestaient sa conviction (enrobée d’une mince lueur 
d’espoir) qu’une nouvelle guerre dévastatrice allait arriver inévitablement. [65]  Le temps où il pensait qu’un danger de guerre ne pouvait 
pas émaner de l’Allemagne appartenait depuis longtemps au passé. Dès le début, 
Ludwig Quidde avait qualifié le régime national-socialiste de “criminel”. Par 
exemple, il avait intitulé un de ses articles « Une honte pour la culture » . Il y exprimait sa vive 
indignation que les associations sportives de tous les pays civilisés 
n’aient pas refusé catégoriquement de participer aux Jeux olympiques de 1936 en 
Allemagne. Pour lui, l’Allemagne actuelle était dominée par des “criminels 
assassins et meurtriers qui ont maltraité de 
façon abominable un grand nombre d’êtres humains dans des camps de 
concentration, qui en ont torturé à mort ou qui ont massacré d’autres 
manières”. [66]  A présent le monde international du sport a rendu hommage 
à ces criminels, à ces assassins. Des personnes honorables se sont assises à la 
même table qu’eux ; elles n’ont pas craint de 
leur serrer la main. N’est-ce pas une honte pour le monde civilisé ? Avec des mots semblables, Quidde avait commenté 
l’annexion de l’Autriche par l’Allemagne nationale-socialiste dans des lettres à 
des amis pacifistes, à Brünn, et pour lesquelles il aurait à se justifier 
plus tard. [67]  Depuis longtemps, il était conscient que tout cela devait 
aboutir à la catastrophe d’une Seconde guerre mondiale, “d’après la simple 
logique des faits”. Ainsi, le 1 er septembre 
1939, il dut subir pour la deuxième fois dans sa vie la réalité inexorable d’une 
guerre. 13. Conséquences de la 
guerre Si l’investissement personnel de Quidde pour ses amis 
pacifistes en exil s’était déjà accru à l’approche du conflit, il s’intensifia 
encore dès le début des hostilités. Depuis l’Anschluss et l’invasion de la Tchécoslovaquie, 
l’incertitude et la peur de nouvelles persécutions avaient augmenté dans 
les rangs des pacifistes en exil. On comprend aisément que beaucoup d’entre 
eux cherchaient alors, de façon pressante, des lieux de résidence plus sûrs que 
Prague, par exemple. Quidde fut submergé par le nombre de demandes d’aide, 
comme il l’expliquait à sa femme : […] presque chaque jour 
apporte un nouveau cas d’un fugitif dans le besoin […] et presque chaque cas 
entraîne des heures de travail. Une dame travaillant au secrétariat du Comité de 
secours m’a confié qu’elle ne comprenait pas comment nous parvenions encore à 
trouver le sommeil, face à des émotions si poignantes. [68] 
 Malgré son âge avancé, il déploya de nouveau une activité 
épuisante, parfois avec succès, parfois en vain. La misère était trop 
grande pour que lui et ses collaborateurs puissent en venir à bout. De plus, il 
subit très rapidement les répercussions de la guerre sur sa propre personne. Tout d’abord, les versements mensuels d’Oslo (200 francs 
que lui allouait le Comité Nobel norvégien) lui parvinrent de façon irrégulière. 
Ensuite, ils cessèrent complètement, dès l’occupation de la Norvège par les 
troupes allemandes. Il est probable que Quidde ait parlé de ses propres 
problèmes financiers, mais surtout de ceux de sa femme, à son frère Rudolf qui 
fit un séjour de trois jours à Genève juste avant le début des hostilités.
 [69]
C’est à cette occasion qu’ils convinrent, en 
faveur de Margarethe, d’un “plan de sauvetage” qui ne devait être mis en 
application qu’après la vente de tous les biens de valeur que le ménage Quidde 
possédait à Munich (Rudolf Quidde était très strict). Une nouvelle fois, Ludwig 
pressa sa femme de réaliser les livres et les objets précieux, surtout un violon 
d’un grand prix. Mais elle n’avait plus la force nécessaire. Elle vivait aigrie 
et désespérée, avec sa sœur handicapée : […] comme nous ne nous 
verrons probablement plus, mon désir le plus ardent est de “bénir” bientôt ce 
monde charmant. Ici, l’existence est trop désagréable. Toi, tu vis là-bas 
dans des conditions que tu trouves relativement sympathiques, en ce qui concerne 
ton entourage. Peut-être nous reverrons-nous dans un monde meilleur. Mais pour 
l’instant je dois m’occuper autant que possible de Tr. [sa sœur Gertrude] dont 
l’état empire chaque jour, physiquement et psychiquement. [70] 
 14. Décès de Margarethe, à 
Munich Quelques semaines plus tard, Ludwig apprit que son épouse 
était morte le 25 avril 1940, à Munich. Il ne lui fut pas permis d’assister 
aux funérailles. Ainsi, lors de l’ultime départ de l’un des deux conjoints, 
c’est dans la séparation que s’achevait le parcours de ces deux fortes 
personnalités qui, malgré des hauts et des bas, avaient vécu un amour plus fort 
que l’adversité. Ici aussi, la loi de la persécution politique déployait 
ses conséquences inexorables. Elle ne tolérait aucune exception, même sur 
la tombe d’une épouse qui venait de mourir. 15. L’autre Allemagne En 1914, Quidde avait pu crier son indignation contre la 
barbarie de la guerre, dans des pamphlets, des pétitions, des mémorandums. 
Mais, lorsque la Seconde guerre mondiale éclata, il ne pouvait plus se servir 
des moyens dont il avait disposé en Allemagne, notamment grâce à la Société 
allemande de la paix. Dans la lointaine Genève, il ne pouvait exprimer ses 
protestations que dans des lettres à ses amis ou lors de conversations privées. 
Selon son habitude, il confiait aussi ses pensées au papier. De là provient un 
manuscrit sur « Das andere, wahre Deutschland 
» qui, dépassant la chronique au jour le jour, 
ressemble plus au testament politique qu’un grand pacifiste destine à la 
postérité. [71]  Dans une étude approfondie, Quidde confrontait sa 
conception d’une “autre, d’une vraie Allemagne” à la question de savoir si les 
efforts d’expansion et l’envie de conquête étaient le propre de l’Allemagne ou 
du peuple allemand. Ou bien si le danger de la guerre ne pouvait être écarté 
d’Europe que par la destruction de l’Allemagne par les autres pays. En tant qu’historien se référant au passé récent de 
l’Allemagne, il répondait que cette thèse d’une Allemagne animée d’une 
ambition innée pour la force n’était pas fondée. Déjà Bismarck n’avait pas 
nourri des buts de conquête pour l’empire allemand. Au contraire, il lui 
importait de conserver la stabilité de son pays (il n’avait jamais convoité 
l’Alsace et la Lorraine qui ne furent livrées à l’empire allemand qu’en tant que 
fruits de la victoire de 1870-1871, en raison de considérations militaires). L’empereur Guillaume II 
lui-même, malgré son goût pour le cliquetis des sabres et les parades 
guerrières, n’avait jamais eu l’intention de conquêtes au détriment des nations 
voisines. Pendant la Première guerre mondiale, les tentatives d’annexion de 
la Belgique et de quelques territoires français n’avaient d’autre origine que 
l’euphorie causée par la guerre auprès des partisans de “l’Allemagne avant 
tout”, qu’on ne devait pas considérer comme un facteur sérieux dans la politique 
allemande. La république de Weimar avait donné des preuves de son 
désir de paix, par l’accord de Locarno, par son acceptation du pacte 
Briand-Kellogg et par son adhésion à la Société des Nations. Même sous la dictature nazie, la majorité du peuple 
allemand est pacifique et démocratique. Les nazis – et non pas le peuple 
allemand – sèment la discorde. La majorité de ceux qui ont élu ces derniers 
ne s’étaient pas rendu compte de “quelle bande d’assassins” elle avait 
rendu possible l’accession au pouvoir. Contre Adolf Hitler et son régime, on 
pouvait absolument espérer des manifestations. Certes, elles avaient échoué 
jusqu’à présent, à cause de l’Etat policier nazi qui menaçait sans cesse les 
opposants en les mettant dans des camps de concentration. Mais la pensée révolutionnaire “surgira de nouveau avec 
passion, aussitôt qu’elle aura la possibilité de prendre le dessus”. Pour cette 
autre Allemagne, il importe de contribuer à la chute définitive du régime 
national-socialiste. Pour l’émigré allemand, il ne s’agit pas d’une guerre 
contre l’Allemagne, mais d’un combat contre Hitler et consorts pour la 
libération de la vraie Allemagne d’une tyrannie insupportable […]. Après l’élimination de ce péril, on pourra faire 
confiance à l’Allemagne pour régler elle-même son destin, sans avoir à craindre 
qu’elle retombe dans le nazisme ou qu’elle succombe à l’appétit de 
conquête. A une seule condition pourtant : 
qu’on ne répète pas les erreurs de la paix de Versailles, imposée avec 
violence. Dans son amour pour le droit et la liberté, le peuple 
allemand n’est pas inférieur aux autres. Il va “préserver jalousement” la 
liberté retrouvée et en faire l’idéal de l’entente internationale qui a trouvé 
son expression dans la constitution de Weimar. Dans les années à venir, il 
importera de ne pas faire éclater l’unité du Reich. On pourra détruire la 
Prusse, mais pas le Reich. En outre, on devra prendre garde à reconstruire 
l’Allemagne comme une république fédérale, fondée sur des Länder. Si l’Allemagne 
est finalement intégrée à une confédération européenne, il n’y aura aucune 
raison, “pour que ceux que je n’ai pas su convaincre, de la traiter avec 
méfiance”. Cette analyse se termine ainsi : Sur la base des expériences historiques et des réflexions 
dictées par la raison, voilà ce que j’exige. Il faut avoir confiance dans le 
vrai génie du peuple allemand qui a fourni, à la mesure de la civilisation 
occidentale, des contributions précieuses et éternelles. Vu la barbarie 
épouvantable des récentes années, le peuple allemand restera d’autant plus 
attaché à transmettre l’amour pour une grande liberté de l’esprit. Il soignera 
et protégera la liberté comme un sanctuaire. Voilà le testament d’un patriote et d’un militant 
infatigable pour la cause de la paix et de la liberté. Peu avant sa mort, il fut confronté une dernière fois à 
la dureté du régime nazi. En 1940, il dut comparaître devant le consul général 
d’Allemagne à Genève pour donner des explications sur une lettre qu’il avait 
écrite en 1938 à des amis pacifistes, à Brünn. Dans ce document, retrouvé 
entre-temps par les nazis, il condamnait l’annexion de l’Autriche avec 
véhémence. Il y considérait les nazis “comme une bande de brigands, d’assassins, 
de pyromanes et de tortionnaires”. [72] Lors de cet interrogatoire 
à Genève, Quidde assuma la paternité de ces termes, de sorte qu’il fut 
déchu, peu après, de la citoyenneté allemande. 16. Sa mort, à Genève A la fin de l’automne 1940, l’inflammation de sa vessie 
avait empiré au point qu’on le renvoya chez lui, après un court séjour à 
l’hôpital. Sa compagne Charlotte Kleinschmidt et leur fille “Lotti” se 
consacrèrent avec beaucoup d’amour au grand malade qui endurait – d’après des 
témoignages – son 
mal avec beaucoup de résignation et avec une sérénité conforme à sa nature. Ainsi, le 5 mars 1941, peu de temps avant son 83 e anniversaire, Ludwig Quidde décéda. Il fut inhumé au 
cimetière du Petit- Saconnex, en ville de Genève, où sa pierre tombale rappelle 
son idéal : “Amavi justitiam” [“J’ai aimé la 
justice”]. Depuis lors, ses restes et ceux de sa compagne Charlotte 
Kleinschmidt (1891-1974 ) ont trouvé une place au cimetière des Rois, panthéon 
de Genève. Lors de l’inhumation, seul un petit cercle d’amis 
entourait Charlotte Kleinschmidt et leur fille. Ami fidèle et compagnon de route 
du défunt, Hans Wehberg prononça une allocution funèbre qui mérite d’être citée 
: Un noble défenseur de la paix quitte la scène terrestre 
qui est dévastée par une guerre épouvantable. Infatigablement, il s’est dépensé 
pendant plusieurs décennies pour promouvoir la paix du monde. Jamais les 
difficultés de sa tâche ne l’ont poussé à abandonner la poursuite de son 
combat. Jusqu’à son dernier souffle, il s’est accroché au noble 
idéal de ses jeunes années, pour la paix et la liberté. […] Jamais il ne s’est demandé ce que pourrait lui 
rapporter telle ou telle décision. C’est en fonction de ses convictions qu’il a 
agi, avec le naturel et la droiture d’un jeune homme, persuadé de la justesse de 
sa cause, tel un Parsifal en quête du Graal sacré […]. Devant nos yeux vit aujourd’hui encore l’image d’un 
militant au service d’un noble idéal. Cette qualité de combattant était le trait 
dominant de sa personnalité. Parce qu’il était un grand pacifiste, il a reçu le 
prix Nobel de la paix, et son nom figure désormais dans le livre d’or de notre 
mouvement, aux côtés de Bertha von Suttner, Frédéric Passy, Walther Schücking et 
Christian Lange. Rarement, un partisan du mouvement pacifiste a été 
pénétré, comme lui, par la conviction que la paix et la liberté doivent être 
indissolublement liées. […] La paix et la 
liberté, ces mots étaient inscrits en lettres d’or comme buts de sa vie. A 
présent, il a trouvé la paix pour lui-même, cette paix qu’il voulait pour le 
monde entier. Mais l’étendard de la liberté et de la justice continue à 
se déployer au-dessus de sa tombe, comme le symbole d’un avenir meilleur pour 
l’humanité. [73]  
 [5] 
Voir le chapitre « Schweizer Exil (1933-1941) » de la récente biographie par Torsten Quidde, Friedensnobelpreisträger Ludwig Quidde , pages 169-196. Nous remercions l’éditeur 
BWV de nous avoir autorisés à publier la traduction française de ce chapitre. On 
peut lui commander le livre à Axel-Springer-Strasse 54B, 10117 Berlin. Adaptation française par Charlotte Kleinschmidt et Roger Durand. [6]Que Quidde ait gagné son pain quotidien 
en travaillant comme jardinier (voir Karl Holl, Ludwig 
Quidde im Exil , page 137) semble improbable, étant donné son âge 
avancé. [7] Voir Hans Wehberg, « Ein Veteran der internationalen Verständigung ! », Die Friedens-Warte , 1941, pages 143-145. [8] Fonds Margarethe Quidde, 
Monacensia, Munich. [9] Ludwig Quidde, « Hilfe für Friedenskämpfer » [« Aide aux 
combattants pour la paix »], Die Friedens-Warte , 1937, pages 118-126 ; 1938, pages 185-191. [10] Ibidem. [11] Démarche auprès du 
Comité Nobel, 28 janvier 1937 ; BA 
[Bundesarchiv], Koblenz, Fonds Quidde, 1212, volume 144. [12] Lettre du 7 avril 1938 ; Fonds Margarethe Quidde. [13] Karl Holl, « Ludwig Quiddes 
Prager Schützlinge 1933-1938 », Exil-Forschung , Erkenntnisse, Ergebnisse , XIV e année, Frankfurt am Main, page 70 et 
suivantes. [14] Karl Holl cite par 
exemple des lettres de Quidde au haut commissaire pour les réfugiés de la SdN, 
sir Neil Malcolm, au ministre tchécoslovaque des Affaires étrangères, Frantissek 
Chvalkowsky, à sir Herbert Dunnico de l’International Peace Society à 
Londres. [15] Gerhard Kraier, Elke Suhr, Carl-von-Ossietzky-Biographie , Rowohlt, 1994, page 115 
et suivantes.[16] Ludwig Quidde, « Der Fall Ossietzky », 
manuscrit inédit, 22 décembre 1935 ; BA , Fonds Quidde, 1212, 
volume 84. [17] Lettres des 9 et 27 novembre 1920 ; Fonds Margarethe Quidde. [18] Gerhard Kraier, Elke 
Suhr, Carl-von-Ossietzky-Biographie , page 45 et 
suivantes. [19] Ludwig Quidde, « Der Fall Ossietzky ». [20] Lettre du 12 novembre 
1937 ; Fonds Margarethe Quidde. [21] Lettres du 24 juin et du 
9 juillet 1938 ; ibidem. [22] Lettre du 29 octobre 
1937 ; ibidem. [23] Ludwig Quidde, « Mein Abenteuer auf dem Salève », Die Friedens-Warte , 
1938, pages 110-115. Le récit de cette aventure est reproduit aux pages 92-102 
du présent volume. (ndlr) [24] Lettre du 24 juin 1938 
; ibidem. [25] Lettre du 31 juillet 
1938 ; ibidem. [26] Hans Wehberg, « Ein Veteran der internationalen Verständigung ! » . [27] Karl Holl, Pazifismus in Deutschland , page 211 et 
suivantes. [28] Lettre du 8 juillet 1891 
; ibidem. [29] Lettre du 17 mai 1938, 
dans laquelle il constate une erreur de numérotation ; ibidem. [30] Lettres du 12 janvier, 
11 et 18 mars 1940 ; ibidem. [31] Lettre du 25 novembre 
1937 ; ibidem. [32] La lettre du 12 mars 
1935 en donne un exemple précis. [33] Lettre du 10 octobre 
1938 ; ibidem. [34] BA , Fonds Quidde, 1212, 
volume 28. [35] Manuscrit inédit ; ibidem, volume 80. [36] [« Désarmement ! » ], Neue Zürcher Zeitung , 25 février 1934. [37] Karl HOLL, Der deutsche Pazifismus , page 25. Rudolf von Bokel, Ludwig Quidde und der zweite Weltkrieg , page 139 et 
suivantes, suppose que Quidde a commis une “erreur d’appréciation” vis-à-vis du 
régime national-socialiste. [38] Karl Holl estime que les 
éclaircissements de Quidde étaient connus des nazis et que ceux-ci les avaient 
utilisés pour leur propagande. [39] Les travaux de la 
Conférence du désarmement n’étaient pas encore interrompus à ce 
moment-là. [40] Walter Kaemerer, « Ludwig Quidde als Historiker », Frankfurter Zeitung , 23 
mars 1928. [41] Lettre au professeur A. von Müller ; BA, Fonds Quidde, 1212, volume 61. [42] Lettre du 26 décembre 
1937 ; Fonds Margarethe Quidde. [43] Ludwig Quidde, « Schiksal und Aussichten der Friedensbewegung », Genfer Echo , Genève, 7 
décembre 1936. Le texte de cet article est reproduit aux pages 139-141 du 
présent volume. (ndlr) [44] Jusqu’en 1999, ce 
tableau se trouvait en possession de Charlotte Kleinschmidt, fille de 
Ludwig Quidde, à Genève. [45] Lettre du 11 juillet 
1938 ; Fonds Margarethe Quidde. [46] Lettre du 27 juillet 
1938 ; ibidem. [47] Cette relation de sa 
dernière rencontre avec le pacifiste français avait déjà paru le 23 mars 1928 
dans la Vossische Zeitung , à Berlin. [48] Le texte de cet article 
est reproduit ci-après, aux pages 92-102. 
(ndlr) [49] « Ludwig Quidde 80 Jahre alt ! », Die Friedens-Warte , 1938, pages 61-64. [50] Lettre du 27 mars 1938 
; Fonds Margarethe Quidde. [51] Lettre du 7 avril 1938 
; ibidem. [52] Der deutsche Pazifismus während des Weltkrieges 1914-1918 
, édité par Karl Holl et Helmut Donat, Harald Boldt Verlag, Boppard am 
Rhein, 1979. [53] [ De la paix publique à la paix mondiale ], 
1934. [54] Ludwig Quidde, Fortschritt der Rechtsidee in der Kulturentwicklung , Vorträge auf der 4. Friedenskonferenz 1911 im Frankfurt , Verlag der 
Deutschen Friedensgesellschaft, 1911, pages 42-54. [55] Die Friedens-Warte , 1936, pages 189-197. [56] « Der deutsche Pazifismus in nationalsozialistischer 
Beleuchtung », Die 
Friedens-Warte , 1934, pages 150-153. « Landesverrat und neue Art von Pazifismus » ; BA , Fonds Quidde, 
1212, volume 88. [57] « Pazifismus und Patriotismus », page 197. [58] [« Désarmement ! »], Neue Zürcher Zeitung , 
25 février 1934. [59] Genfer Echo , 7 décembre 1937. [60] Ludwig Quidde, « Grundzüge einer neuen Weltordnung » ; BA , Fonds Quidde, 
1212, volume 87. Voir aussi « Zur Reform des 
Völkerbundes », Basler 
Nachrichten , 3 septembre 1936.
 [61] [« Destin et perspectives du mouvement pacifiste »], Genfer Echo , 7 
décembre 1936. Le texte de cet article est reproduit aux pages 139-141 du 
présent volume. (ndlr)
 [62] Manuscrit, 15 février 
1938 ; BA , Fonds Quidde, 1212, volume 
83.
 [63] Ludwig Quidde, « Walther Schücking als Mitkämpfer », Die Friedens-Warte , 
1935, pages 219-222.
 [64] Ludwig Quidde, « Der 
gute Kamerad. Meine Erinnerungen an Hellmut von Gerlach », Der Europäer. Organ der Europa-Union , Basel, décembre 1936.
 [65] Lettre du 30 août 1939 
; Fonds Margarethe Quidde.
 [66] Manuscrit inédit, 1936 
; BA , Fonds Quidde, 1212, volume 80.
 [67] Karl Holl, Ludwig Quidde im Exil , page 138.
 [68] Lettres du 26 février et 
du 23 septembre 1939 ; Fonds Margarethe 
Quidde. [69] Lettre du 2 juillet 1939 
; ibidem. [70] Lettre de Margarethe à 
Ludwig, 19 mars 1940 ; ibidem. [71] [« L’autre, la vraie Allemagne »], manuscrit non daté, probablement de 1940 ; BA , Fonds Quidde, 1212, volume 82. Voir aussi 
Rudolf von Bokel, Ludwig Quidde und der zweite Weltkrieg 
, page 140. [72] Karl Holl, Ludwig Quidde . Ein Lebensbild 
, page 33. [73] Hans Wehberg, « Rede, gehalten am Grabe von Ludwig Quidde am 8. März 
1941 », Ludwig Quidde 
, mai 1948, pages 72-74. Cette allocution est reproduite aux pages 
112-114 du présent volume. (ndlr) |